Contes scénarisés


LES MYSTÈRES DE PARIS par Régine Cirotteau.
Ces textes (30 dans leur ensemble) sont parus dans le livre monographique « C’est Fantastique! » avec le soutien de la direction des art plastiques.

 

MITHRA

Au Musée du Louvre, dans une salle égyptienne reculée,
un jeune homme s’était assoupi mystérieusement.
A son réveil, il vit distinctement ce qu’il considéra
être une magicienne.
Sans un mot, la déesse le relia par des fils invisibles
à la clef des songes.
Par amour, elle lui apprit le secret de la serrure
du coffre des Anciens, qu’on ne peut ouvrir sans briser.
Mais il refusa d’en être le gardien soupirant.
Aussitôt, elle le changea en glace et le fit fondre
très lentement.
La susceptibilité des déesses n’a pas de mesure humaine.
La salle égyptienne, d’une humidité persistante,
est définitivement fermée.

 

LE JARDIN JAUNE

Tout près d’une mosquée, un jardin exotique renferme
des fruits et des plantes sans pareils.
Coco des Seychelles, arbre à pain, litchi, muscadier,
goyavier, cajou, mûre … Alentour d’une colonne de pierre
étreinte par une ronce, une forte odeur entraîne le regard
vers une sorte de fleur jaune chargée de pollen.
Cet organisme semble fragile, splendide et pervers.
Si vous le faites délicatement tourner entre vos doigts,
il s’écaille et se réduit en poudre.
Les fleurs ne font pas de sentiment,
elles ne font que l’amour.

 

L’ORME SACRÉ DE SAINT GERVAIS

Près du parvis de l’église Saint Gervais
s’élève un orme, ancienne potence.
Lorsqu’on le coupe, sa sève rouge coule abondamment.
Parfois, à une heure avancée de la nuit,
le promeneur égaré sous ses ombrages frémit, envahi par une magie optique.
L’arbre se transforme en lumière d’or.

 

LE NOYÉ DE LA SEINE

A la période de la première chute des feuilles,
il est un pont qui enjambe mille soupirs.
Un temps d’avant l’orage.
Dans l’isolement subit, un noyé remonte peu à peu à la surface des eaux de la Seine.
Mi-plante, mi-humain, il évolue dans un monde léger
et insensible. De petits animaux vermeils le parasitent. Aidés de leur queues, ils le maintiennent
à une température suffisante.
A peine reprend-il connaissance à la décharge
de trois éclairs successifs qu’il s’enfonce de nouveau.

 

L’OBSERVATOIRE

Sous le grand escalier monumental de l’Observatoire, un chemin
dérobé mène aux caves.
Pour que les aiguilles magnétiques des horloges gardiennes
ne soient pas influencées, ni le fer ni le bois n’ont été employés.
Un 17 octobre vers 4 heures du matin,
le passage d’une grande comète à l’aspect particulièrement
insolite, suivie de deux traînes superposées, arrêta le temps
quelques instants.
Ils ne furent jamais retrouvés.

 

LE VAMPIRE DE MONTPARNASSE

Au détour d’une tombe, l’homme à cran improvise
l’attaque d’une passagère.
Sans intention alimentaire, il incise la gorge
de sa victime, et boit en sirotant le sang à l’orifice.
Chaque nuit, il perfectionne davantage sa tactique d’approche. Il fait de rapides progrès,
jusqu’à son arrestation.
Les rapports médicaux relatent ses derniers mots :
« quelques gouttes de sang humain naturel valent plus
que le sang de bœuf en masse ».

 

LA SOURCE DE L’ÉTHÉE

Deux heures du matin, place Denfert-Rochereau.
Sur le dos du lion de Belfort, l’air transporte
en filigrane les sons d’une danse macabre.
Ils proviennent des voûtes de l’ossuaire des catacombes,
où cinquante musiciens sont ensevelis.
La masse de pierre jouxte une source qui vibre
et reproduit leur histoire.

 

LA FOIRE DU TRÔNE

A la Foire du Trône, une enfant se promène
en compagnie d’un prince de l’épouvante,
pour connaître une terreur exotique.
La femme tronc s’exhibe à côté d’un catcheur volant, des manèges monstrueux, des squelettes
qui se dressent sur un piédestal, des masques
vitriolés, des chenilles qui donnent le hoquet.
Elle reste immobile, fascinée, la bouche sucrée
par un petit cochon en pain d’épice et un nougat
en forme de dragon.

 

LA TOUR SAINT-JACQUES

Au centre d’un petit square, à deux pas de la place du Châtelet, se dresse une tour impénétrable.
Autrefois, au tintement de ses douze cloches, les bouchers écorchaient joyeusement les bêtes de somme
et les mégissiers teintaient les peaux dans des bains d’eau, de cendre et de chimie.
Ce temps ne dura pas … Les cloches furent fondues
et devinrent les canons de la révolte …
Ce temps ne dura pas non plus …
Au sommet de la tour, un physicien s’installa.
Un matin, il entendit les cloches … et prouva le vide.

 

L’ALCHIMISTE DE LA GLACIÈRE

Dans une bibliothèque, un alchimiste rencontra
un écrivain de séries policières.
Le premier détestait les crétins et les pigeons,
le second aimait les oranges givrées et la scie à métaux.
L’alchimiste invita l’écrivain à le suivre
dans son laboratoire de la rue de la Glacière.
A coup sûr, l’écrivain ne s’attendait pas à voir
un tel appareillage.
L’alchimiste retira d’une coupelle des cristaux rougeâtres, et murmura qu’il allait les transmuer en or.
L’écrivain éclata de rire, et sous l’impulsion de sa main heurta le récipient.
Il tomba et se brisa.
L’alchimiste, en proie à une colère singulière, assomma
L’écrivain à coups de marteau.
Il le découpa et plaça chaque morceau bien en ordre entre des blocs de glace.

Cette histoire se termine à l’hôpital Saint Anne… où l’alchimiste, placé sous camisole, erre toujours dans les couloirs de la folie.

© Régine Cirotteau [Tous droits réservés aux auteurs. Copyright SACD - ADAGP - SACEM] . Made by moicommeje.com